" Coca - Che "
retrace, en 35 photographies noir/blanc, la difficile coexistence en Amérique latine, au début des années 70, de deux idéologies représentées par leurs icônes mondialement connues : le révolutionnaire Che Guevara (assassiné en 1967) et la grande marque de soda américain Coca-Cola. Un voyage dans le temps et des visions très différentes du monde.
Du 29 mai au 2 juillet 2021
On parle de l'exposition !
Luc Chessex
Luc est né en 1936 à Lausanne, en Suisse. Après des études à l’école de photographie de Vevey, il part pour Cuba en 1961, où il aura le privilège de cotoyer Fidel Castro et Ernesto Che Guevara, les artisans de la révolution.
Il demeurera en Amérique latine jusqu’en 1975 et c’est pendant les quatre dernières années de ce périple qu’il réalisera les clichés de « Coca-Che », lors de plusieurs voyages sur les traces de la dépouille du « Che », en compagnie de son collègue journaliste Ernesto Gonzalez Bermejo.
Luc Chessex est le parrain de la galerie Poivre et Sel.
Un grand merci à lui !
"Coca-Che"
retrace, en 35 photographies noir/blanc, la difficile coexistence en Amérique latine, au début des années 70, de deux idéologies représentées par leurs icônes mondialement connues : le révolutionnaire Che Guevara (assassiné en 1967) et la grande marque de soda américain Coca-Cola. Un voyage dans le temps et des visions très différentes du monde.
Du 29 mai au 2 juillet 2021
On parle de l'exposition !
Luc Chessex
Luc est né en 1936 à Lausanne, en Suisse. Après des études à l’école de photographie de Vevey, il part pour Cuba en 1961, où il aura le privilège de cotoyer Fidel Castro et Enrnesto Che Guevara, les artisans de la révolution.
Il demeurera en Amérique latine jusqu’en 1975 et c’est pendant les quatre dernières années de ce périple qu’il réalisera les clichés de “Coca-Che”, lors de plusieurs voyages sur les traces de la dépouille du “Che”, en compagnie de son collègue journaliste Ernesto Gonzalez Bermejo.
Luc Chessex est le parrain de la galerie Poivre et Sel.
Un grand merci à lui !
L’histoire
de « Coca-Che »
Je vivais à La Havane à la fin de l’année 1970 et j’étais photographe à la revue « Cuba Internacional ». L’avenir paraissait tout tracé jusqu’à ce qu’un beau matin quelques camarades de travail vinrent me féliciter. Comme mon anniversaire était aux antipodes – je suis Lion – et que je n’avais pulvérisé aucun record de productivité, toujours difficile à définir dans le secteur culturel, je ne compris pas immédiatement le pourquoi de ces compliments. « Tu le mérites ». Ces trois mots signifiaient, aussi sûrement que deux et deux font quatre, qu’un voyage à l’étranger allait m’être proposé. Ce qui n’était qu’une rumeur se confirma rapidement : Prensa Latina, l’agence de presse cubaine qui m’employait, m’avait nommé correspondant itinérant pour l’Amérique latine.
Je devais partir en mission avec Ernesto Gonzalez Bermejo, un journaliste uruguayen qui était le directeur de la revue où je travaillais.
Cette nomination était flatteuse, mais j’étais quand même un peu gêné car seul mon idéal me retenait à Cuba. En tant que citoyen suisse, je pouvais obtenir en trois jours mon visa de sortie. Or faire partie d’une délégation envoyée à l’étranger représentait la seule possibilité de voyager, et la plupart de mes camarades rêvaient d’une pareille occasion.
Depuis que j’avais quitté la vieille et rusée Europe pour m’installer dans le Nouveau Monde, j’avais souvent rêvé de l’Amérique latine. J’avais dévoré des dizaines de romans et j’avais entrevu, au travers de mes amis latino-américains, l’immense richesse de ce continent. Au fond de moi-même je pressentais déjà depuis plusieurs années que Cuba ne serait pas pour moi la fin du voyage, mais une porte ouverte sur une réalité plus ample, plus tragique aussi. J’étais étonné par ce qui m’arrivait, à la fois heureux de matérialiser un rêve et triste à l’idée de quitter mes amis et de tourner la page.
Après un bref séjour au Chili, où Salvador Allende venait d’être élu président, l’étape suivante s’annonçait riche en aventures. Le gouvernement bolivien venait de lever l’interdiction de circuler dans la région où Che Guevara et sa minuscule troupe avaient voulu créer un front révolutionnaire.
Un front qui devait bouleverser le destin du continent, de la même manière que Fidel Castro l’avait fait à Cuba quelques années auparavant.
Mais la Bolivie n’était pas Cuba et l’Histoire ne se répète jamais. Après onze mois d’errance dans la jungle, ce qui restait du petit groupe tombait dans une embuscade aux environs du village de La Higuera. Le Che fut blessé lors du combat et assassiné le jour suivant. La photographie de son corps, exhibé pendant 24 heures dans la buanderie de l’hôpital de Vallegrande, fit le tour de la terre. Photoshop n’ayant pas encore été inventé, il fallait absolument prouver que le Che était bien mort et que Cuba resterait pour longtemps encore une exception en Amérique latine.
L’armée bolivienne et la CIA affirmèrent que le corps avait été incinéré, ce dont doutaient les villageois qui n’avaient senti aucune odeur de chair brûlée durant les jours ayant suivi l’exhibition du corps.
Le gouvernement cubain était désireux de retrouver la dépouille du Che pour lui offrir une sépulture digne du rôle qu’il avait joué à Cuba. Notre projet était donc de refaire son itinéraire bolivien afin de rencontrer des acteurs et des témoins de cette épopée et pouvoir en apprendre davantage sur les derniers mois de sa vie.
En même temps que le continent, je découvrais l’immense malentendu qui avait présidé aux relations entre la population de la région et le Che. Les témoignages des habitants contredisaient l’image que j’avais de paysans miséreux et exploités accueillant la guérilla libératrice avec enthousiasme. Leurs relations avec les guérilleros avaient surtout consisté à leur vendre de la nourriture…et à les dénoncer systématiquement à l’armée dès qu’ils avaient tourné le dos.
Ils étaient autant miséreux qu’ignorants, et combien de fois n’ai-je pas entendu leur sentence favorite : « Dieu m’a fait naître pauvre, ce serait un péché que de vouloir changer ». Ils étaient en réalité trop pauvres pour avoir l’idée de se révolter contre leur condition, et le Che et ses compagnons étaient totalement rejetés par ceux-là même à qui ils venaient proposer un avenir meilleur. Comment le Che a-t-il pu pareillement se fourvoyer?
Pourquoi le Che, considéré comme le plus grand stratège des mouvements de guérillas, a-t-il commis l’erreur fatale de vouloir implanter la lutte armée dans un territoire où elle n’avait aucune chance, vraiment aucune, de s’établir? En 1953 le Movimiento Nacionalista Revolucionario était arrivé au pouvoir en Bolivie. Après avoir nationalisé le secteur minier, il avait instauré une réforme agraire et chaque paysan était devenu propriétaire de son lopin de terre, autant dire de sa misère. Si l’on ajoutait à la pauvreté la forte influence de l’église catholique ainsi qu’un nationalisme ombrageux, il était évident qu’aucune des conditions pouvant assurer le succès du projet révolutionnaire n’était réunie.
Après trois mois de voyage dans un environnement hostile, nos efforts nous avaient seulement permis de retrouver une montre bracelet et une pipe ayant appartenu au Che. Son corps semblait s’être évaporé dans la nature, il ne fut d’ailleurs retrouvé que trente ans plus tard, en 1997, dans une fosse commune près de l’aéroport de Vallegrande.
Je décidai alors de poursuivre ma route en solitaire et de rentrer à La Havane par le chemin des écoliers. Sur le chemin du retour l’effigie du Che m’apparut omniprésente, comme flottant sur les campagnes et les rues des villes latinoaméricaine.
Le mythe du « guerillero heroico » était né, accompagné d’un tel foisonnement d’images qu’elles vinrent cohabiter et rivaliser avec la publicité la plus puissante et omniprésente au monde, une boisson gazeuse nommée Coca Cola.
Ainsi deux icônes se disputaient le paysage du sous continent américain, Coca Cola, l’élixir inventé à Atlanta en 1886 par le pharmacien Pemberton et l’image du révolutionnaire Che Guevara. « Symbole de bon goût » d’un côté, « Jusque à la victoire, toujours » de l’autre, « Créer deux, trois, plusieurs Viet Nam » répondant à « Tout va mieux avec Coca Cola », la dispute était féroce et la guerre totale.
Celui qui, dans une démarche irraisonnée et suicidaire/sacrificielle, n’avait fait qu’attiser la méfiance des paysans boliviens était soudain devenu l’étendard d’une jeunesse bien décidée à en découdre avec l’ordre établi. “Un fécond malentendu”, selon Régis Debray : “ la révolte antiautoritaire de 68 prenant ce partisan de l’autoritarisme à tout crin pour emblème, de Paris à Berkeley. Une vague de sensibilité permissive et naturiste, portant aux nues un puritain corseté”.
Aujourd’hui plus de quarante ans ont passé, les images du Che ont pour la plupart été effacées par le temps, se sont fondues dans la société marchande. Coca Cola en revanche maintient son règne de number one, à peine menacé par celui qui est son principal concurrent, bien plus sucré que le Che, Pepsi Cola.
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